Théophile Gautier, Emaux et Camées (1852)
L'Art
Oui, l'oeuvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.
Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.
Fi du rhythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !
Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit :
Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;
Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant ;
D'une main délicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.
Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur.
Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;
Dans son nimbe trilobé
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.
Tout passe. - L'art robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.
Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.
Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.
Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
Lecture analytique :
-14 strophes
-quatrain
-hexasyllabes sauf le troisième vers de chaque strophe : 2 syllabes
-rimes croisées
-CL matériau artistique
CL sculpture
CL peinture
-présence de l'impératif : explique comment travailler
-insistance sur le travail rigoureux : "sort plus belle", "lutte"
-envie de montrer que l'art comme la poésie doit être net, objectif :
"contour pur", "trait fier", "fuis l'aquarelle"
Poème illustre le Parnasse :
-métaphore pour dénoncer le romantisme et ses intrusions des sentiments personnels
-objectivité obligatoire
-proteste contre le "flou" romantique
Mes appréciations sur le poème :
-surprise de voir un thème comme l'art pour écrire un poème
-interessant de réfléchir sur le sens du poème (dénonciation du romantisme)
Leconte de Lisle, Poèmes Barbares (1862)
Le rêve du jaguar
Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,
Dans l'air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et, s'enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L'araignée au dos jaune et les singes farouches.
C'est là que le tueur de boeufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l'écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue ;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d'une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l'herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D'un large coup de langue il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.
Henri Rousseau, Combat d'un tigre et d'un bufle |
Lecture analytique :
-pas de séparation en strophes
-alexandrins
-poème descriptif :
CL animaux
verbes de mouvements
-"il" : le jaguar, pas de subjectivité
-exactitude et précision description : picturale
-contrastes couleurs vives/obscurités : tableau
-sauvagerie de l'animal
Poème illustre le Parnasse :
-description sans forme d'engagement personnel
-objectivité
Mes appréciations sur le poème :
-représentation du poème comme un tableau peint
-seulement de la description, pas de nécessité de réfléchir
Leconte de Lisle, Poèmes Barbares (1862)
Les Montreurs
Tel qu'un morne animal, meurtri, plein de poussière,
La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d'été,
Promène qui voudra son coeur ensanglanté
Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière !
Pour mettre un feu stérile en ton oeil hébété,
Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
Déchire qui voudra la robe de lumière
De la pudeur divine et de la volupté.
Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire,
Dussé-je m'engloutir pour l'éternité noire,
Je ne te vendrai pas mon ivresse et mon mal,
Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées.
Leconte de Lisle, Poèmes Barbares (1862)
Fiat nox
L'universelle mort ressemble au flux marin
Tranquille ou furieux, n'ayant hâte ni trêve,
Qui s'enfle, gronde, roule et va de grève en grève,
Et sur les hauts rochers passe soir et matin.
Si la félicité de ce vain monde est brève,
Si le jour de l'angoisse est un siècle sans fin,
Quand notre pied trébuche à ce gouffre divin,
L'angoisse et le bonheur sont le rêve d'un rêve.
Ô coeur de l'homme, ô toi, misérable martyr,
Que dévore l'amour et que ronge la haine,
Toi qui veux être libre et qui baises ta chaîne !
Regarde ! Le flot monte et vient pour t'engloutir !
Ton enfer va s'éteindre, et la noire marée
Va le verser l'oubli de son ombre sacrée.
Lecture analytique :
-4 strophes
-2 strophes de 4 vers, 2 strophes de 3 vers
-rimes embrassées
-métaphore de la mort, comparaison à la mer
-verbes caractéristiques des flots marins
-rupture à la 3ème strophe "O" : changement de musicalité
-"toi" : homme : dénonciation
-exclamation : mécontentement du poète
-"toi qui veux être libre et qui baises ta chaine" : esprit contradictoire humain, envie de liberté mais aime dépendre des autres
Poème illustre le Parnasse :
-description
-objectivité
-dénonciation "toi"
Mes appréciations sur le poème :
-citation sur la liberté totalement en accord avec mes pensées
-poème qui dénonce changement par rapport aux poèmes d'amour